Piet Moget

Chers amis,


La famille Moget a la grande tristesse de vous annoncer le départ de Piet pour son horizon.
Il a choisi de rester fidèle à son motif et sera donc inhumé au cimetière de Port-La-Nouvelle le Samedi 19 Décembre à 10 heures.

Famille Moget

 




Piet Moget est né le 28 mai 1928 à La Haye.

Ses ancêtres paternels, d'origine savoyarde, se seraient établis en Hollande au début du XIXème siècle, probablement à la création du royaume de Hollande par Napoléon 1er.
Bien que fils unique, il fait partie d'une communauté importante. Sa mère est l'aînée de onze enfants et son père est également issu d'une famille nombreuse. Il vit dans un milieu familial modeste, solidement structuré où la notion d'art est très présente : on chante des Lieder de Schubert dans sa famille maternelle. Son grand-père maternel a le goût de la peinture. Piet Moget fréquente une "open lucht scholl" (école où l'enseignement est donné en plein air) où il reçoit une éducation tournée vers la créativité, les méthodes actives, l'autonomie. A l'âge de huit ans, il joue de l'accordéon et s'immerge dans la peinture (il peint des assiettes en guise de cadeaux de Noël).

En 1937-38, il fait connaissance du peintre Jan Blockpoel qui travaille dans la tradition de l'Ecole de La Haye proche de celle de Barbizon. Il sera son premier maître. Piet l'accompagne dans ses déplacements sur le motif, portant ses couleurs. Il observe, peint lui-même. "L'aventure a commencé très tôt (...), je suis entré directement dans la peinture, il n'y a pas eu de dessins d'enfant."

En 1941, à force de rôder autour de l'école des Beaux-Arts de la Princesengracht et à la suite de diverses démarches il est admis, à l'âge de 13 ans, aux cours libres, parmi des adultes. Il est le premier élève admis si jeune. L'enseignement est académique et les professeurs sont tournés vers la peinture de l'Ecole de La Haye. Piet Moget fréquente le gemeente Museum où il voit des peintures de Piet Mondrian. En 1941-42, accompagné de sa mère, il voit une exposition de Jan Sluijters où dit-il, il verra ce que l'on peut faire avec la lumière. Il vend sa première toile, "La Rue", lors d'une exposition à Voorburg en août 1942. Durant les années de guerre, Piet Moget travaille dans la tradition hollandaise, sous l'influence de l'Ecole de La Haye. Il s'essaie à plusieurs techniques : peinture à l'huile, aquarelle, dessin au crayon et au fusain. Il expérimente la couleur, allégeant progressivement sa palette vers des tons plus irisés ou s'essayant à des couleurs plus franches et plus contrastées. Il peint la réalité des paysages hollandais, ceux-là même décrits par les maîtres du Siècle d'or.

A la fin de la guerre, il voyage en Europe, notamment en France où il séjourne pendant six mois. Il visite Paris où il peint et dessine les monuments et les sites renommés de la capitale. Puis il descend dans le Midi.
A l'automne 1946, il entre à l'école des Beaux-Arts de La Haye. Il a comme professeurs Madame Giacometti qui lui enseigne l'histoire de l'Art, Paul Citroën, lié à Dada, au Bauhaus et au Blaue Reiter, Drayer qui est dans la lignée de la Nouvelle Objectivité. Piet Moget ne sera pas influencé par ces courants ni par le cubisme. En revanche il est attiré par Monet et surtout Pissaro comme le montreront les peintures réalisées à Saint-Rémy-de Provence lors d'un séjour en 1948. Il fonde, en 1947, avec d'autres étudiants, le Contakt Groep qui organise des expositions, des débats d'idées, des discussions sur l'art, la poésie, la littérature et la politique.

Il poursuit ses voyages pendant tout son cursus scolaire, de 1946 à 1951. Il découvre l'Espagne, l'Italie, la Suisse et la France qu'il sillonne de part en part, à bicyclette et en auto-stop.

En 1947, il séjourne à Port de Bouc dans les Bouches du Rhône puis découvre la lumière du Languedoc et de la Catalogne. Il visite la région narbonnaise, les étangs de Sigean et Port la Nouvelle.

1947 est aussi marquée par un événement déterminant dans la vie et le travail pictural de Piet Moget. En février est présentée au Gemeente Museum de La Haye l'exposition "De Bonnard à nos jours" où il découvre un tableau de Geer van Velde, "Méditerranée", peint l'année précédente. La peinture l'impressionne profondément : Cette oeuvre apport(ait) un message d'espoir et de sérénité.

En 1948, il voyage en Provence. Piet Moget, en quête de lumière et d'effet de transparence, semble rechercher inspiration et modèle dans l'impressionnisme. Il porte déjà un intérêt particulier pour le thème du quai, du canal (qui deviendra majeur à la maturité), des étendues liquides.

En 1951, il épouse le peintre Mary Schallenberg, amie d'enfance et des Beaux-Arts. Ils partent en Suède travailler et exposer.

1952, ils s'installent définitivement en France à Port la Nouvelle, au mas de la Grange Basse où ils vivent dans des conditions très précaires, sans eau ni électricité. Ils retourneront chaque été jusqu'en 1955, en Scandinavie où naîtra leur fille Layla. C'est la fin des années d'études et des voyages de bohèmes.

Cette même année, il fait la connaissance de Geer van Velde en lui rendant une visite impromptue chez lui à Cachan. C'est le début d'une longue amitié. Van Velde et sa femme Elisabeth viendront plusieurs fois à la Grange Basse où Geer travaillera et exposera. Piet le considère comme son "père spirituel". Quand on rencontre un être comme cela, c'est un grand pas qu'on fait. Une attitude, une espèce de présence qui est là. Son regard sur les choses, sur les tableaux, qui vous pousse à faire le meilleur de soi-même. Geer van Velde lui a montré un chemin, élargi sa vision, fait prendre conscience des problèmes de lumière des espaces méditerranéens.

Il fait de nombreux portraits de son épouse, dessins ou peintures à l'huile. Portraits sensibles sur le thème de la femme et de la mère ("Femme et enfant" (1953), "Portrait de Mary", "Mary sur l'herbe", "Mary au hamac", (1954)) dans desquels on retrouve la méditation pensive de Vermeer et la solidité de la construction de Cézanne. "Cézanne m'a influencé, beaucoup, encore maintenant, la construction, la lumière, la touche".

A partir de 1954, le paysage méditerranéen imprègne de plus en plus son travail. Il plante son chevalet autour du mas de Grange Basse, près du château de Frescati, dans le jardin du Rieu, près du cimetière de Port la Nouvelle. Fidèle à la leçon des peintres de La Haye et de Cézanne, il peint sur le motif. Je n'arrive pas à travailler dedans, j'ai besoin de quelque chose à quoi m'accrocher. La nature est quand même mon maître.

En 1956, apparaissent des couleurs plus nacrées, plus irisées. Le contour des formes est moins accusé, la ligne d'horizon de plus en plus présente, le ciel prend plus d'importance (figuier à travers les roseaux ; Derrière la Grange Basse de 1956). "A partir de 1956 environ, Piet Moget prend l'habitude d'aller peindre sur le quai à Port la Nouvelle avec une petite camionnette. Un jour dans sa camionnette en train de lire le journal, il regarde par la fenêtre et voit avec une extrême intensité ce qu'il a sous les yeux. En fait peu de choses. Une digue avec de gros blocs de pierre, en avant l'eau du canal reflète ces blocs, au-dessus de la digue on devine la mer, le ciel [...]. Tout à coup c'est comme si l'on voyait pour la première fois. Ces moments peuvent être extrêmement intenses, et parfois marquer un avant et un après dans la vie (1)" Il plante dorénavant son camion chevalet, rempli de toiles en cours, sur les quais de Port la Nouvelle tous les matins au même endroit avant que le soleil ait dissipé les brumes matinales et là, sur le motif, car il reste un peintre de plein air, il interroge la lumière et l'espace. Le thème central de sa peinture devient le canal, la digue, la mer, l'espace.

1960-1977, les tableaux présentent une sorte de permanence - espace frontal, horizon abaissé, format carré ou presque, absence de signature au recto, absence de titre- qui sert une volonté farouche de peindre l'essentiel. Piet Moget sait jouer de gammes chromatiques différentes et se laisse parfois tenter par des couleurs à l'énergie chaleureuse.

Les tableaux des années 1980-1990 parlent de la lenteur de la tâche, de l'insatisfaction du peintre, de sa quête de l'absolu dans la peinture. C'est difficile, lourd, on ne peut pas faire autrement, [...] la peinture ne vous laisse pas tranquille. Il émerge de ces toiles méditatives, dépouillées, à la limite de l'abstraction, une lumière intérieure venue de la concentration de plusieurs lumières [...] petit à petit cristallisées.

1994-1995 semblent marquer un retour à une représentation figurative plus repérable. Les toiles ont perdu leur sérénité dépouillée et laissent transparaître une présence. Les coloris sont plus forts, plus sombres, plus sourds. Une tension existe entre l'espace et la terre où se devinent des sortes d'entrelacs, des torsions.

Parallèlement à son travail de peintre, Piet Moget organise des expositions d'autres artistes. Il débute cette activité dès 1952 en Scandinavie où il expose des oeuvres d'artistes européens contemporains. De 1956 à 1964, il organise "Les Rencontres" qui seront le premier pôle d'art contemporain créé en Languedoc-Roussillon. Ces manifestations rassemblent des oeuvres de Geer van Velde, Bissière, Staël, Vieira da Silva, Estève, Lapicque, Lanskoy, Poliakoff, Léger, Tanguy, Les Cobra et bien d'autres. Il collabore également à la création de pôle d'art contemporain à Sérignan, à Béziers (exposition de Jacques Villon, Joan Miro), au Château de Jau, au Musée Fabre de Montpellier, au Musée Rigaud de Perpignan.

En 1991, il fonde le Lieu d'Art Contemporain (L.A.C) un cadre extrêmement dépouillé, à l'accrochage et à l'éclairage très sobres. Plusieurs expositions ont lieu chaque année, au printemps et en été, parfois en automne autour de jeunes créateurs.

 

1. Charles Juliet - Piet Moget, Conférence, 29 mai 1996